Très souvent lors de nos séances de médiation, nous réalisons combien les couples sont démunis dans l’art de bien se disputer. On apprend bien à lire, à calculer et bien d’autres savoirs « positifs ». Pourquoi n’apprendrait-on pas aussi à bien se disputer, cette forme d’interaction étant inhérente à bien des échanges entre humains ?
L’apparition des premiers conflits dans le couple coïncide souvent avec la fin de la période magique de la lune de miel. Les conflits ne sont pas le signe de ce qu’ « on ne s’aime pas assez » : ils font simplement partie d’une relation de couple normale et réussie.
En effet, les disputes permettent de « faire le ménage » des petits ressentiments accumulés, elles nous aident à réaliser qu’un changement doit être apporté à un mode de fonctionnement qui ne convient plus. Elles maintiennent aussi une certaine tension salutaire pour éviter de tomber dans l’indifférence. Un couple qui ne se dispute jamais ou très rarement, est donc, paradoxalement, en danger.
Quels sont les principaux sujets de disputes ?
- Le ménage, en tête du hit-parade, englobe tout ce qui concerne l’entretien du lieu de vie et de la famille : la cuisine, les courses, le lave-vaisselle, les poubelles, l’administration, le jardin, etc.
- L’argent : quelles sont les priorités choisies pour les dépenses ? comment chacun contribue-t-il aux charges du ménage ? chacun a-t-il son compte en banque personnel ou l’argent est-il « mélangé » ? etc.
- Les enfants : avec l’arrivée du premier enfant, chacun des partenaires inaugure un nouveau rôle, celui de parent, qui peut révéler de fortes différences entre les conjoints. Les limites à fixer à l’enfant, la place des familles d’origine, le choix des écoles, des loisirs, la manière de gérer les ados… sont autant de sujets de discussion.
- La sexualité occupe aussi une place de choix dans les sujets de conflits. Presque toutes les disputes concernent la fréquence des rapports et l’intensité du désir. Elle ou lui préférerait que sonsa partenaire soit plus démonstratif·ve ou prenne davantage l’initiative.
- Les familles d’origine : la place de celle-ci peut être vécue comme envahissante par l’autre ; à l’inverse, des beaux-parents perçus comme pas assez disponibles peuvent être source de disputes ; ou encore, une belle-famille ressentie comme non digne de confiance aux yeux d’un des conjoints. Et les familles recomposées, c’est la même chose, en plus compliqué.
- Les loisirs et les amis : communs ou individuels ? quelle place leur accorder ? et comment les faire évoluer quand la famille s’agrandit ?
Les enjeux sous-jacents des disputes répétitives
Certaines disputes à répétition ont des enjeux sous-jacents. Elles expriment alors un malaise beaucoup plus profond :
- L’engagement : si un des deux partenaires ou les deux ne font pas clairement le choix de s’engager, les incertitudes à propos de la solidité de la relation vont inévitablement faire surgir des disputes.
- La hiérarchie : tendre vers une juste répartition des responsabilités dans le couple n’est pas simple. C’est une recherche permanente et changeante d’équilibre qui peut régulièrement occasionner des disputes.
- La distance : l’idée « conte de fées » qui voudrait que les couples qui s’aiment « vraiment » font tout ensemble est encore très répandue. Pourtant, une fois la lune de miel passée, le besoin de se distancier de son partenaire est légitime. La bonne distance à trouver peut aussi être source de disputes, d’autant que cette distance juste doit régulièrement être réévaluée.
- La résolution des difficultés dans les familles d’origine : la relation peut être perturbée par des comportements qui trouvent leurs racines dans des situations survenues dans les familles d’origine. « Quel est le modèle ou l’anti-modèle sur la base duquel je me comporte comme conjoint ? quel rôle suis-je en train de rejouer ? »
En amenant ces aspects à la conscience, il est possible de désamorcer certains conflits de couple.
Cinq clés pour bien se disputer
Puisque les disputes sont inhérentes à l’hygiène du couple, voici 5 manières de se disputer pour apprendre à traverser les conflits d’une manière qui enrichit la relation et la fortifie.
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Bien se disputer
Il importe avant tout de bien distinguer violence et colère : si la violence – verbale ou physique – n’a pas sa place dans le couple, l’expression de la colère a toute sa place dans une relation d’amour saine et satisfaisante. Sans cela, la relation risque de s’alourdir de ressentiments non exprimés.
Comment alors bien exprimer sa colère ?
- D’abord, en prendre la responsabilité : face à un comportement initié par un autre, plusieurs réactions différentes sont possibles. Je suis donc le créateur des émotions associées au comportement qui les a déclenchées. Pas facile, mais indispensable !
- Parler en « je » : c’est essentiel pour dissocier la colère de la violence. « Je suis en colère quand tu me dis que… » « Je ne suis pas du tout d’accord » etc. Puisqu’il s’agit le plus souvent de s’affirmer face à l’autre, autant parler en « je » : tant que nous adressons notre colère au « tu », nous n’atteignons pas cet objectif.
- Faire le deuil de la vengeance : au sein du couple, nous savons très bien comment blesser notre partenaire en retour. Laisser tomber cette envie, bien humaine, est difficile mais indispensable.
- Exprimer une colère ne nécessite pas de hurler ou d’injurier l’autre : élever le ton, parler fort, est évidemment le corollaire normal de la colère, mais rien n’oblige de hurler ou de s’envoyer des bordées d’insultes.
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Pratiquer l’écoute silencieuse
Une des raisons pour lesquelles la communication dans le couple est si difficile vient du sentiment de ne pas être entendu·e.
L’écoute silencieuse est donc un petit bijou pour une « bonne » dispute.
- Créez le cadre adéquat :
- Prenez rendez-vous pour être vraiment disponibles : « J’ai envie d’une écoute silencieuse. Mercredi prochain à 21 heures, ça t’irait ? »
- Installez-vous confortablement.
- Décidez qui des deux parle le premier.
- Celui qui parle est le seul à parler tant qu’il n’a pas fini, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il n’a pas dit « J’ai fini ». Celui qui écoute ne fait donc rien d’autre qu’écouter, sans interrompre, sans commenter, sans questionner et sans gestes qui seraient aussi parlants que des mots.
- Celui qui parle en second parle comme s’il parlait en premier. Il ne « répond » pas à l’autre, sinon il crée un déséquilibre en réagissant aux propos plutôt qu’en s’exposant à son tour.
Pratiquée régulièrement (p.ex. 1 fois par mois), l’écoute silencieuse relève considérablement le niveau de satisfaction dans la relation, qui est ainsi nourrie et régulièrement « nettoyée ».
P.S. L’écoute silencieuse ne doit pas seulement être réservée à ce qui est difficile : elle doit aussi permettre aussi au couple d’échanger sur ce qui va bien !
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Négocier préventivement
Négocier préventivement les modalités d’un dimanche dans la (belle-)famille, d’une matinée de courses et même d’une soirée amoureuse, d’une après-midi de rangement de la maison,
- C’est accepter que des solutions gagnant-gagnant sont possibles.
- C’est éviter de nombreuses tensions inutiles, chacun développant progressivement des compétences naturelles à élaborer des solutions satisfaisantes pour les deux parties.
- Ca prend par contre un peu de temps. Mais c’est du temps bien employé et qui évite la dépense de beaucoup d’énergie négative !
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La reconnaissance émotionnelle
Il arrive souvent que le simple partage de ressentiments en rapport avec des frustrations vécues en dehors du couple (ex. au travail) dérape en dispute au sein du couple. Parce que celui·celle qui reçoit l’expression de la colère minimise l’événement qui l’a produite ou tente immédiatement d’y apporter une solution, alors que le besoin de celui·celle qui s’exprime est simplement de se sentir accueilli·e, entendu·e et reconnu·e.
« J’entends ta colère, ta tristesse, comme tu es choquée, etc. Je comprends à quel point ça doit être difficile pour toi ». Et si la demande du partenaire n’est pas claire, le plus simple est encore de lui poser la question !
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Le besoin de solitude
Tout comme la respiration est inspiration et expiration, le partage, la proximité voire la fusion sont aussi nécessaires au couple que la distance, le retrait et la solitude : les deux polarités sont nécessaires à la santé du couple.
Quand l’un a envie d’un moment de solitude, il donc important de faire part de ce besoin à l’autre. « Je vais dans ma grotte » peut suffire, en précisant idéalement le temps que l’on désire y passer.
Vous êtes convaincus que vous pouvez tirer des bénéfices d’une bonne dispute dans votre couple ? Au travail alors : « profitez » de la prochaine tension pour mettre ces apprentissages en pratique !
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Nous vous invitons également à lire l’ouvrage de Carolle et Serge Vidal-Graf, Comment bien se disputer en couple, aux Editions Jouvence.
Votre couple traverse une période difficile ? Vous avez envie de trouver des solutions ?